“Quand il n’y a pas de bruit, je suis inquiète, explique Marion. Même chez moi, j’ai besoin d’entendre quelque chose. Je me nourris du stress, c’est mon moteur”. On la comprend aisément. Passer la porte de la fonderie dont elle est la gérante, c’est entrer dans le monde de Sauron ou de Hadès : ici, c’est le règne du feu et du métal en fusion. On y martèle, on y ponce, on y soude et on y crie pour se faire entendre par-dessus un bruit assourdissant. Ici flotte un subtil mélange d’odeurs métalliques, de plâtre et de cire, sous le regard de sculptures déposées sur des étagères. Vous êtes dans l’antichambre de l’Enfer d’où jaillira, au final, une œuvre d’art dont les courbes seront un velours pour les yeux, qui s’admirera en silence et que l’on effleurera du bout des doigts. Il y a de l’alchimie dans une fonderie d’art : la délicatesse y surgit du chaos.
Un challenge au quotidien
Tout a débuté en 1974 avec Pepino, guère passionné par son avenir tout tracé dans le bâtiment, étant d’origine italienne. “Je me suis dit alors que j’allais trouver un artisan pour m’apprendre la déco, raconte-t-il. Mais un jour mon patron m’a demandé de mastiquer des vitres dans un atelier. C’était la fonderie Valsuanie, rue des Plantes à Paris, et le contremaître était Italien. C’était un signe”. C’est comme cela que débutent les grandes histoires. Plus tard, en 2002, il s’installe à Drancy et trouve à Bobigny un lieu suffisamment grand et isolé pour poursuivre son activité, bientôt rejoint par sa fille Marion. “Personne ne m’a obligé à intégrer la fonderie, précise-t-elle. Mais avec mon frère, nous avons toujours su qu’on allait travailler dans une fonderie d’art. Je savais que ça allait me rattraper dans ma vie. C’est dans les gènes. Petits, on grimpait sur les sculptures. Maintenant, c’est mon fils qui le fait”.
Disons que rien ici n’est répétitif, il faut sans cesse se réinventer, apprendre à regarder l’œuvre qu’il faudra façonner. “La mécanique, c’est comme ça et pas autrement, poursuit Pepino. Nous, nous sommes dans l’abstrait : comment maitriser les épaisseurs de cire, les alimentations pour que le bronze remplisse la sculpture ? Est-ce que l’air va bien s’échapper, là où l’on veut ? Ce sont des choses que tu acquiers avec les années et que tu remets en question en permanence. Tout ici est un challenge. Tu travailles au ressenti. ”
Héritiers d’un savoir-faire
Paradoxalement, leur entreprise est un artisanat qui fabrique de l’art. Rien n’y est inventé, ni interprété. La seule ambition est de reproduire une œuvre d’art à l’identique, grâce à une technique ancestrale, le bronze à la cire perdue, qu’il serait fastidieux d’expliquer en détails sans la galvauder tant elle est complexe. Dans une fonderie d’art, on ne produit pas de grandes séries : pas plus de douze tirages sortiront du moule originel. Et ce n’est pas à proprement parler une profession puisqu’on y retrouve cinq métiers distincts et rares : le mouleur statuaire, le cireur, le fondeur (la partie métallurgie), le ciseleur et le patineur. C’est de la haute couture appliquée au métal. Si vous réunissez une équipe compétente dans chacun de ces domaines très complexes, votre renommée est une valeur en soi. C’est pour cela que la fonderie Rosini est labellisée par l’État Entreprise du patrimoine vivant, Excellence du savoir-faire français et que chaque œuvre est marquée du poinçon de l’entreprise. On sculpte la terre, le bois, le marbre, jamais le bronze. Mais c’est cette matière travaillée par le fondeur qui généralement permet à l’œuvre de traverser le temps.