Les terrains de la discorde
Les communes, telles que nous les connaissons, ont été créées en décembre 1789, comme les départements
et les régions. Elles furent dessinées en suivant, peu ou prou, les limites des anciennes paroisses ou des finages (espaces occupés par les terres cultivées d’une même communauté, ses habitations et zones humides, son lieu de culte...). Chaque commune forme un écosystème cohérent, souvent constitué depuis la période médiévale.
C’est le cas de Drancy, dont les limites, formées de barrières naturelles, étaient très agricoles : le ru de la Molette au Nord, le Bois de Groslay à l’Est, des voies au Sud et à l’Ouest. Seulement, quelques années après ce
découpage administratif, un fait est venu bouleverser cette belle ordonnance : l’industrialisation.
Notre ville est à cet égard un véritable cas d’école puisque durant tout le XIXe siècle, Drancy est restée une
terre agricole, alors que des communes comme Le Bourget ont très rapidement pris le virage de la création
d’usines. Et fatalement, avec des intérêts aussi divergents, quelques frictions apparurent.
Une nouvelle frontière
Depuis les années 1840, nos voisins cherchent à agrandir leur territoire pour y implanter divers projets industriels.
Le village de Drancy, assez vaste en superficie, mais peuplé de seulement 500 habitants, est donc regardé avec convoitise. En novembre 1861, la demande
est officielle puis débattue lors du Conseil municipal.
Le refus sera catégorique :
même si 64 hectares perdus pour Drancy sur 790 paraissent un abandon de peu de valeur,
cela entraînerait une diminution du revenu de l’impôt. Et pour une ville pauvre, c’est impensable. Le maire, Samuel
Victor Houdart, va même jusqu’à proposer que "l’administration supérieure" partage Le Bourget en deux,
une moitié étant intégrée à Dugny et l’autre à Drancy. Mais ce combat est perdu d’avance car, depuis les années 40, un fait nouveau est intervenu : la présence du
chemin de fer (1860) et de la gare de triage (1863) qui vient créer une nouvelle frontière au Nord de Drancy. Les
terrains convoités sont en effet situés le long du chemin de Laisement, actuelle rue du Commandant Rolland, et autour de la gare (dite, aujourd’hui, du Bourget). Ils sont donc désormais très isolés du village de Drancy.
Une cause perdue
La même revendication sera présentée en 1869, avec une réponse identique
ce projet nous enlèverait le 8e de nos revenus et le 5e de notre population puis en 1873.
Mais cette fois, la belle façade se fissure : la commission
d’enquête a bien noté que les habitants autour de la gare souhaitent ce changement de commune qui leur faciliterait la vie quotidienne. La pression est donc très forte.
La commission reproche à l’administration de Drancy de s’être opposée à l’établissement d’industries dans la
commune, et même d’avoir repoussé un projet d’établissement de la gare de chemin de fer aux abords du village. Cette accusation est trop absurde pour que j’y réponde
Le bon Houdart est en colère, mais finit par proposer une solution : abandonner les terrains compris entre la frontière Nord de la ville et le chemin de Laisement
soit 35 hectares de terrain riverain d’un chemin tout à fait favorable aux établissements industriels.
Peine perdue, en 1877, les terrains seront annexés au Bourget qui y implantera des usines. La dernière ferme
drancéenne disparaîtra un siècle plus tard.