De l'ombre à la lumière
Drancy, 25 novembre 1890
Le conseil municipal du village de 1100 habitants est réuni dans sa petite mairie. En sortant, il faudra allumer sa lampe à pétrole pour retrouver le chemin de sa maison car, à cette époque, lorsqu’il fait nuit, il fait noir. Après avoir géré les affaires courantes (permis de chasse, caisse des écoles...), le maire d’alors, M. Lalouette, prend la parole et, mine de rien, va faireentrer sa ville dans le monde moderne.
Il expose au conseil que beaucoup de demandes lui ont été faites relativement à l’ éclairage des rues de la commune et il le prie d’examiner cette question
Le 9 janvier 1891 le conseil approuve l’installation, pour 1000 francs, de 12 appareils fonctionnant au pétrole. La mise en place prendra un peu de temps mais, le 20 août 1896 :
Le conseil décide que l’éclairage des voies publiques sera fait tous les soirs, sauf ordre contraire, du 15 octobre au 1 er mars. En temps clair, l’allumeur devra, avant de procéder à l’allumage, prendre les ordres de l’administration
Durant cette fin de siècle, on court après la modernité en réclamant l’installation des Postes et télégraphes, de pompes funèbres, mais aussi de l’eau courante :
attendu que (étant donné que) le puits installé place de la Mairie est complètement insuffisant pour répondre aux besoins urgents de la population, de la salubrité et principalement en cas d’incendie (5 mai 1894)
Mais le malheur veut que les petites villes pauvres se décident, ou obtiennent, toujours très tard ces nouveautés rapidement obsolètes. Ce sera par exemple le cas pour le tramway, attendu et réclamé pendant près de trente ans, mais qui ne survivra pas plus de dix ans.
Drancy, 20 février 1910
Monsieur le Maire soumet au conseil le projet de traité établi par la compagnie du gaz en vue de l’éclairage de la commune
La technologie n’ est pas nouvelle : les premiers lampadaires au gaz sont apparus à Paris en 1829. Il est donc temps de changer de carburant, une quinzaine d’années seulement après l’ arrivée du pétrole dans nos rues. La ville traitera donc avec la “Société d’éclairage, chauffage, force motrice”. La concession est fixée à 25 ans. 80 becs sont alors prévus, avec une moyenne d’allumage de 6 heures et une extinction des feux à 1 heure du matin.
Mais durant la 1re Guerre mondiale, le prix du gaz s’envole et une nouvelle énergie se démocratise : l’électricité. Le conseil commence à s’y intéresser dès 1914, mais il faudra attendre quelques années avant qu’elle fasse son apparition dans la ville.
Drancy, 12 avril 1924
La ville est confrontée à une sérieuse difficulté : elle s’agrandit avec une incroyable rapidité pour dépasser les 30.000 habitants au milieu des années vingt et les nouveaux habitants bâtissent leur maison au milieu des champs. Réunis en syndicats de rues, ils réclament de la lumière. Pendant des décennies, ils égrainent leurs demandes au conseil.
Le 12 avril 1924, le maire Duchanel prend la parole :
Le réseau d’ éclairage actuel qui ne s’étend que sur très peu de rues est manifestement insuffisant et en raison du développement considérable de la commune, il y a urgence à prendre des mesures immédiates pour assurer un éclairage suffisant dans les quartiers qui en sont dépourvus
Quelques années plus tard, en 1931, il enfoncera le clou :
Cette urgence est d’autant plus impérieuse que depuis longtemps il a été signalé que des éléments douteux se glissent dans la population nouvelle et que la question de l’éclairage des rues est des plus importantes pour assurer à la foi le bon ordre et la sécurité publique
Drancy passe à l’électricité
L’électricité basse tension a fait son apparition au milieu des années vingt, toujours avec la “Société d’éclairage, chauffage, force motrice”. Elle sera remplacée, en 1925, par Nord-Lumière, le triphasé. En 1929, les cinq écoles drancéennes (Centre, Jaurès, Marceau, Économie et Avenir) passent à l’électrique, grâce à un secours préfectoral de 40.000 francs. Deux ans plus tard, un projet d’ extension est mis en place. Il comprend 1 500 points lumineux (1 593 en 1933), avec des candélabres en acier. Une centaine d’entre eux devra être alimentée en aérien, avec un supplément de 300 francs par candélabre. En 1933, les derniers becs de gaz et éclairages basse tension seront supprimés. Lorsque les nombreux nouveaux arrivants construisent leur maison, ils sont exonérés de taxes pendant 15 ans. Il faut donc trouver un autre moyen de faire face à ces dépenses.
En 1929, le conseil décide de rétablir un octroi (une taxe) aux entrées de ville. Ce qui permettra au maire Duchanel de sortir une tirade lumineuse et truculente :
En dépit des calomnies qui ne manqueront pas de se faire jour, malgré la mauvaise foi de certains, nous devons avoir le courage de savoir avoir tort pendant le temps nécessaire pour prouver que nous avions raison. C’est la rançon du progrès que de payer d’ une impopularité passagère
Il faudra, par la suite, poursuivre les efforts. En 1938, il est, par exemple, envisagé une électrification de la rue de Stalingrad, suite à une pétition. Elle ne pourra être réalisée qu’en 1949. Lorsque toute la ville sera construite, que l’ électricité sera installée à peu près partout dans les 110 kilomètres de rues, il faudra enfin songer à la maintenance et à la modernisation du réseau. Mais là, c’est une autre histoire qui commence.