L’objectif de la Mission emploi était clair : rendre un minimum autonome un maximum d’Ukrainiens pour la rentrée de septembre. "La première des choses à faire, c’est d’apprendre le français, d’abord pour pouvoir se débrouiller dans la vie quotidienne, mais surtout afin de pouvoir prétendre à un emploi", explique Vadim Trushkov, conseiller Emploi et formation. Parfaitement bilingue, c’est d’ailleurs lui qui est chargé des cours de langue depuis l’été 2022. Son ancienne profession d’enseignant et interprète lui a grandement facilité la tâche. Sa pédagogie et sa bienveillance aussi. Car "certains déplacés de la guerre en Ukraine avaient une bonne situation professionnelle dans leur pays et pensaient pouvoir obtenir un travail bien payé en France, sans maîtriser le français...", raconte-t-il.
La Mission emploi a accueilli absolument tout le monde, sans critère de sélection aucun, avec pour but de déterminer quels étaient les profils et les besoins de chacun. Et d’identifier les urgences absolues : "3 ou 4 personnes notamment n’avaient pas d’hébergement, des solutions d'urgence et de solidarité ont pu être trouvées par des institutions avec l'aide de la Ville", poursuit Vadim. Un accompagnement dans toutes les démarches administratives a été immédiatement offert : inscription à Pole Emploi, rattachement des enfants à la CPAM, inscription dans les établissements scolaires, recours au Secours Populaire ou à la Croix-Rouge...
70 Ukrainiens, en grande majorité des femmes, sont passés au moins une fois demander de l’aide à la Mission emploi, surtout des Drancéens, mais le bouche-à-oreille aidant, ils sont venus de toute la Seine-Saint-Denis, et même pour quelques-uns de Paris, du Val-de-Marne et de la Seine-et-Marne. Pour autant, seule une quarantaine d’entre eux sont restés pour un suivi régulier. Raison principale à cette attraction : les cours intensifs de français dispensés par la Plateforme Réussite, de 2 heures le matin ou 2 heures l’après-midi, en fonction du niveau. Deux groupes de 20 à 25 personnes, qui ont été pour la plupart très assidues.
Certains Ukrainiens ont même voulu assister aux deux cours, ils ont progressé extrêmement vite. C’est le cas de Liliia Kuz (voir son témoignage ci-dessous), qui a pu entamer un cursus de droit à l’université Sorbonne Paris-Nord (Paris 13) à la rentrée 2022. "Elle était tellement motivée, qu’elle faisait le double des devoirs demandés", se rappelle le conseiller Emploi. Quatre autres de ses élèves ayant atteint rapidement des niveaux honorables, ils se sont inscrits dans la même faculté afin d’obtenir des diplômes reconnus par l’État allant de A2 à B1.
Parmi les plus belles réussites, il cite également deux médecins – un ORL de 51 ans et une neurologue de 29 ans – qui suivent actuellement des cours de médecine en auditeur libre. Il y a aussi la dynamique Olga, en alternance à l’hôtel Ritz pour deux ans, après avoir intégré le CFA Médéric d’hôtellerie. Ou encore Vitalii, un mécanicien de 39 ans qui vient de se faire embaucher en CDI dans un garage Peugeot-Citroën d‘Issy-les-Moulineaux. "La Mission emploi lui a d’abord permis de décrocher un stage de deux semaines chez Toyota à Drancy, afin d’étoffer son CV. Puis nous l’avons aidé pour son entretien d’embauche, mais entre-temps, il avait fait des progrès fulgurants en français !", raconte celui qui l’a coaché.
Au total, une douzaine d’Ukrainiens a trouvé un emploi ou une formation, c’est ce qu’on nomme ici une "issue positive". Après cette première vague de succès, les cours de Français ont repris en janvier. "La demande est permanente, certains viennent spontanément et le CCAS nous envoie des personnes également", poursuit-il. Pour cette nouvelle session, un groupe unique d’une quinzaine de personnes a été constitué, avec des cours d’une heure trente, trois matinées par semaine.
Parallèlement, Vadim Trushkov et la Mission emploi les aident individuellement à rédiger CV et lettres de motivation, s’inscrire à des formations ou rechercher un emploi. Ils peuvent aussi suivre des cours d’informatique ou d’anglais via la Plateforme Réussite. Mais tout le monde n’aura pas forcément l’emploi pour objectif prioritaire. Soutenir les réfugiés, c’est aussi les aider à obtenir une prestation sociale, notamment dans le cas d’une femme seule avec enfants. "Il faut aussi leur apprendre les codes et même la patience quand on remplit une demande, la réponse ne peut jamais être immédiate, conclut-il. C’est une différence culturelle notable...". Dans tous les cas, le conseiller emploi tient à clarifier : il demande la franchise sur chaque situation, car c’est ainsi que s’instaure une relation de confiance. Et rappelle que le travail au black, c’est niet !
Liliia
« Je rêve de devenir criminologue »
Originaire d’Ivano-Frankvisk, ville de l’Ouest de l’Ukraine bombardée dès le premier jour du conflit, Liliia, 19 ans, est arrivée à Drancy le 3 mars 2022.
Mes parents étaient déjà en France, en visite chez de la famille, quand la guerre s’est déclarée le 24 février. Avec mon petit frère de 13 ans, nous avons eu très peur et nous avons réussi à prendre un bus dès le 1er mars pour venir en France. Nous avons tout laissé chez nous, sauf quelques affaires dans un sac à dos. Mon cerveau a effacé de ma mémoire mes premiers mois ici.
À l’été, j’ai reçu un mail de la Mission emploi m’invitant à des cours de français. J’ai trouvé cela formidable, le français est la langue la plus difficile que j’ai apprise – je parle aussi russe et anglais – à cause de la prononciation. J’ai été beaucoup encouragée par Vadim et j’ai suivi ses cours pendant 3 mois, 2 heures tous les matins. L’après-midi, je faisais les devoirs, je regardais des podcasts en français. Comme je rêve depuis toute petite d’être criminologue, j’avais commencé des études de droit en Ukraine. Vadim m’a convaincue de faire du droit et m’a beaucoup aidée pour m’inscrire en 1re année à Villetaneuse.
Je passe tout mon temps à étudier car les enseignements sont complètement différents. Mais cela me plaît beaucoup. J’attends les notes de mes partiels en droit constitutionnel et droit privé, on verra ! Je n’y serais jamais arrivée sans l’aide matérielle et le soutien moral des professionnels de la Mission emploi."