C’est une success-story qui ne doit rien au hasard. Celle d’une méthode pédagogique inédite – le projet "Réconciliations" – expérimentée et développée par deux enseignants du lycée drancéen Eugène Delacroix : David Benoit, professeur de mathématiques et Jérémie Fontanieu, professeur de sciences économiques et sociales (SES). Ensemble, ils ont réalisé l’improbable : permettre 3 années de suite à tous les élèves de leur classe de terminale, d’obtenir le baccalauréat. Une véritable performance au regard du taux de réussite moyen au bac général dans ce lycée, qui oscille entre 80% et 90%.
La genèse
Tout commence en 2012, lorsque Jérémie Fontanieu rejoint l’équipe pédagogique de Delacroix. Comme beaucoup de ses collègues, le jeune homme de 24 ans rêve alors de faire la différence auprès de ses élèves. Mais l’année passe et le constat est amer.
Ceux qui étaient bons en début d’année le sont restés, tandis que ceux qui n’étaient pas bons n’avaient pas progressé. Je n’avais eu aucun impact", déplore le professeur.
En cause notamment, le manque de travail et d’implication personnelle de ses élèves et l’impuissance du professeur seul face à sa classe.
Malgré ce constat d’échec, il refuse la fatalité et demande de l’aide. À ses collègues, d’abord. Il trouve en David Benoit son binôme pour les années à venir. Chacun s’est formé à la matière de l’autre et c’est ensemble qu’ils font cours aux élèves ; tandis que l’un dispense, l’autre vulgarise. Puis, aux parents auprès desquels il obtient un soutien immédiat et enthousiaste.
L'union sacrée
S'appuyer sur les familles pour mettre les élèves au travail ? Dès le mois d’août, ces dernières sont invitées à rencontrer les deux professeurs. Une réunion de prérentrée à l’issue de laquelle le partenariat est scellé. Dès lors, tout au long de l’année, parents et enseignants s'échangeront des messages et se tiendront mutuellement au courant des moindres faits et gestes des adolescents. Prévenus des contrôles à venir, les parents sont en mesure d’assurer un suivi, tandis que tout retard, vocabulaire inapproprié ou oubli de matériel, donne lieu à une double peine : les lycéens sont systématiquement collés le samedi ou le mercredi, et un sms est envoyé aux parents, qui ne manquent pas de sermonner, le soir même, leurs rétifs marmots. De même, lorsque des événements extrascolaires surviennent qui peuvent perturber les ados, les enseignants sont immédiatement mis au courant et adaptent leur niveau d’exigence, tout en prodiguant soutien et encouragement.
Et la magie opéra
Les deux premières semaines de cours sont les plus difficiles. Fatigue, frustration, découragement... les jeunes ont du mal à s’y mettre. Car au-delà du rythme intense des cours et de la surveillance étroite dont ils font l’objet, ils ne réalisent pas encore le pouvoir du travail et n'ont que peu foi en eux mêmes.
Le système scolaire a réussi à convaincre beaucoup de nos élèves qu’ils ne sont pas capables d’y arriver. Si on se réfère aux études comparatives entre pays occidentaux, la France apparaît comme le pays où l’origine sociale a le plus d’impact sur la réussite scolaire", rappelle Jérémie Fontanieu.
Pourtant, très rapidement, les progrès se font sentir. Au départ, les élèves sont étonnés de leurs résultats mais l’enthousiasme prend vite le dessus et les manches se retroussent. La classe forme alors une sorte de communauté soudée. Les tests hebdomadaires, sous forme de QCM, ne leur laissent aucun répit et c’est ensemble que les élèves révisent leurs cours quotidiennement et se réjouissent de leurs progrès mutuels.
La confiance retrouvée
Plus les mois passent, plus leur transformation progressive semble évidente. Réconciliés avec eux-mêmes, les rebelles du début d’année se sont mués en bûcheurs volontaires et assidus, qui font la fierté de leurs proches et suscitent l’étonnement de leurs anciens camarades. De leur côté, les familles font la paix avec l’école.
Pour les parents, le lycée est un monde inconnu, dont ils se sentent exclus et qui peut susciter à la fois crainte et méfiance. D’ordinaire, ils n’y viennent que s’ils sont convoqués. C’est violent pour eux", souligne le professeur.
Désormais, avec le projet "Réconciliations", les rencontres parents-profs ne sont plus ces moments tant appréhendés mais un temps d’échange et de partage au cours duquel il est question d’avenir. Celui indubitablement prometteur de nos jeunes Drancéens.
Le projet en chiffres
- 100% de réussite au bac en 2018, 2019 et 2020
- 0 redoublement depuis 2017
- 0 décrochage scolaire chez les élèves de seconde sur l’année 2020-2021
- 95% des élèves obtiennent une mention sur leurs bulletins
- trimestriels ou semestriels
- 1/4 de bacheliers en classes préparatoires aux grandes écoles
- entre 2018 et 2020
Réconciliations se décline
En film
Pendant un an, élèves et professeurs de la promotion 2020 de TES 3 ont tenu un carnet de bord vidéo, réalisé avec les moyens du bord et l’aide de professionnels bienveillants.
À l’origine, "ce devait être un court métrage fait de plusieurs petits films", explique David Benoit, professeur de mathématiques.
"Mais les images qui avaient été tournées en classe, dans les familles et dans la rue étaient tellement belles et intenses qu’on a décidé d’en faire un film". Le résultat final est un documentaire, présenté pour la 1ère fois aux parents et aux élèves le 11 juin dernier, à l’Espace culturel du Parc. Pendant 90 min, les spectateurs ont partagé le quotidien des élèves, de leur famille et des enseignants. Un film à la fois joyeux et touchant qui laisse apparaître, en filigrane, des réalités sociales souvent difficiles.
En livre
Il sera publié à l’automne aux éditions Les liens qui libèrent. Jérémie Fontanieu y raconte, entre autres, la naissance du projet.