Privée de sa liberté d’aller et venir, ou plutôt de rentrer chez elle, Iryna Paliichuk, 44 ans, vit à Drancy, chez les amis qu’elle était venue visiter en tant que touriste en février 2022. Et est un peu perdue dans les démarches administratives pour sa fille de 16 ans, Polina, atteinte de paralysie cérébrale, suite à un accouchement catastrophe. "Une erreur médicale, qui fait qu’elle a de grandes difficultés à marcher", explique Iryna, sans que son regard bleu vif ne laisse transparaitre d’émotion.
Surprise par la guerre à l’Ouest
En Ukraine, à Rivne, la ville de 250 000 habitants où elle a passé toute sa vie, les bombes tombent toujours. "J’avais un billet de retour pour le 26 février, [soit deux jours après le début de la guerre, ndlr], raconte-t-elle. Bien sûr, on avait la crainte d’une attaque Russe, on avait vu sur les chaines de télé occidentales les images satellites des troupes de Poutine massées à la frontière. Mais jamais je n’aurais imaginé que les bombardements toucheraient l’Ouest de l’Ukraine où je vis. On les craignait à l’Est, sur Kharkiv ou Donetsk".
Aujourd’hui, elle lutte pour retrouver sa vie d’avant. Née dans une famille d’intellectuels et de deux parents ingénieurs, Iryna était cadre supérieur à Rivne. Séparée de son mari depuis 8 ans, elle n’a pas le sentiment d’avoir eu à se battre pour l’égalité homme-femme. Après un équivalent bac+5 dans la finance, elle a travaillé comme économiste dans une grande entreprise du secteur de l’énergie. Bien qu’obligée de se consacrer à sa fille durant ses cinq premières années de vie, elle reprend ensuite des études en alternance à polytechnique et devient ingénieur en électricité.
Un retour incertain
Alors forcément, elle se sent plutôt désœuvrée en France. "Je rêverais de trouver un travail dans la finance, mais je sais qu’il faudrait d’abord que je fasse une formation et donc que j’améliore mon Français, explique-t-elle. Peut-être que comptable, c’est envisageable...". En attendant, c’est la fonte de ses économies qu’elle compte. Elle se démène pour obtenir la sécurité sociale, une aide pour les trajets de Polina matin et soir vers le lycée Delacroix, sans laquelle elle ne peut travailler à temps plein.
Elle craint aussi que la motricité de sa fille ne se détériore trop, en l’absence des séances de rééducation qu’elle suivait en Ukraine. Rentrer chez elle ? "C’est impossible, à cause des bombardements, il n’y a plus d’électricité que quelques heures par jour, pas d’ascenseur, or j’habite au 10e étage et Polina est en fauteuil roulant". Elle garde le contact avec sa mère qui vit dans la même ville. Elle apprécie la bienveillance et l’aide qu’elle reçoit ici au quotidien. Mais ce sont l’attente et l’incertitude qui lui pèsent